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1973 Des musiciens de jazz subversifs fondent l’AMR

par Antoine Grosjean

Tribune de Genève
25 juin 2011
[Texte intégral]
Jean-Luc Barbier devant le centre culturel Saint-Gervais, ex-Maison des jeunes
et de la culture, où une manif s’était terminée par une descente de police massive.
© Photo: Pascal FRAUTSCHI
 

Musique | Avec le festival des Cropettes, qui se termine dimanche, le jazz devient populaire, voire familial. Il y a 40 ans, raconte Jean-Luc Barbier, c’était loin d’être le cas.

Au parc des Cropettes, jusqu’à dimanche, la note bleue s’égrène sous toutes ses formes, y compris les plus libérées et expérimentales. Mais loin d’être un aréopage de jazzeux intellos, le festival champêtre de l’AMR est devenu au fil des ans un rassemblement populaire et festif, où impros jazz et saucisses à rôtir font bon ménage.

Cela paraît difficile à imaginer aujourd’hui, mais il y a une quarantaine d’années, les musiciens de jazz genevois ramaient pour obtenir ne serait-ce qu’un minimum de reconnaissance. Sans parler de la difficulté à trouver des salles de concert ou des locaux de répétition. C'est pétris de militantisme et dans un esprit très revendicatif qu’une vingtaine de musiciens genevois représentant autant de groupes se réunissent au printemps 1973 pour fonder l’AMR. Le saxophoniste Jean-Luc Barbier est de la bande. A l’origine, AMR signifie «Association pour la musique de recherche». Tout un programme… Depuis, si l’acronyme est resté, l’intitulé est devenu «Association pour l’encouragement de la musique improvisée», ce qui sonne quand même moins élitiste.

Quel que soit son nom, à l’époque, cette frange musicale était totalement dédaignée par ceux qui tiraient les ficelles dans le domaine de la culture: «Le Grand Théâtre accaparait toutes les subventions, regrette Jean-Luc Barbier. Mais le jazz est une musique qui demande beaucoup de travail et de professionnalisme. Nous voulions que cela soit reconnu. Quand on allait à Londres, ou aux Pays-Bas, on voyait que cette musique était bien mieux acceptée. Au conservatoire de Londres, ils enseignaient même le rock et la pop!»

L’AMR, association alors sans domicile fixe, organise ses premiers concerts à la Maison de quartier de la Jonction, en novembre et décembre 1974. «On faisait tout nous-même, se souvient Jean-Luc Barbier. On installait les chaises, on transportait les boissons, on vendait les billets, etc. Il fallait quand même le faire! Mais à 22 ans, on n’a pas encore le cerveau bien formé…» rit-il. Pendant des années, l’AMR va ainsi naviguer de lieu en lieu, passant par le café du Lion d’Or, à Carouge, la salle Patino, ou la Maison des jeunes et de la culture de Saint-Gervais.

Une nuit au violon

Les échos de Mai?68 résonnent encore dans beaucoup de têtes, descendre dans la rue pour se faire entendre est dans l’air du temps, et l’association ne s’en prive pas. L’une de ces manifestations se termine à Saint-Gervais par une descente massive de police. «Quelqu'un avait jeté de la peinture sur les policiers, raconte Jean-Luc Barbier, alors ils ont investi l’immeuble par dizaines. On s’est retrouvés coincés dans les escaliers.» Le saxophoniste finit au violon, passant la nuit au poste de police.

A force de pétitions et de démarches auprès des autorités, Jean-Luc Barbier se lance même dans l’aventure politique. Il se présente en avril?1975 aux élections municipales en Ville de Genève, sous la bannière d’une liste autonome de trois candidats. Ses colistiers sont un chômeur et un objecteur de conscience. Sur une affiche, le programme du saxophoniste réclame «un centre musical ouvert à toutes les musiques d’aujourd’hui pour se réunir et s’exprimer librement». Non élus, les trois lascars donnent leurs voix au Parti socialiste. D'ailleurs, Jean-Luc Barbier fera partie pendant quelques années de la commission culturelle du PS.

Toujours en 1975, le jour même où a lieu un défilé, festif et musical, dans les Rues-Basses, le Conseil municipal vote enfin une subvention de 20.000 fr. pour l’AMR, et renvoie en commission, pour un examen approfondi, le projet d’un centre musical. Le fait que la fille du conseiller d’Etat socialiste André Chavanne soit membre de l’association aura sans doute donné un coup de pouce.

Six ans d’attente

Mais il faudra encore attendre six ans avant que la chose ne se concrétise. «Et quand on a 20 ans, six ans c’est long…» soupire Jean-Luc Barbier. Le 11 septembre 1981, après huit ans d’errances dans des locaux divers et variés, l’AMR entre dans ses murs de la rue des Alpes. Le Sud des Alpes est né. Passées les premières bisbilles internes pour savoir s’il fallait aussi y accepter les musiciens de rock, l’endroit deviendra à la fois salle de concert, école de musique et creuset du jazz genevois.

Antoine Grosjean, Tribune de Genève


Quelques documents concernant l'AMR sur le site swiss-jazz.ch:

 

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